A Tale of Two Arbitration Cities No. 1 - London

Federal Republic of Nigeria v. Process & Industrial Developments Limited (P&ID), [2023] EWHC 2638(Comm), Arrêt du 23 octobre 2023

Contexte

La procédure arbitrale objet du présent recours en annulation est fondée sur un contrat de fourniture et de traitement de gaz (le « Contrat »), conclu en 2010 entre le gouvernement Nigérian, et la société des îles Vierges Britanniques Process & Industrial Developments Limited (« P&ID »). Aux termes du Contrat, le Nigéria devait fournir du gaz humide à des installations de traitement devant être construites par P&ID. Le but de ces usines était d’utiliser le gaz pour produire de l’électricité, tout en conservant les liquides de gaz naturel pour la vente.

Le projet n’a jamais vu le jour car le Nigéria n’a pas fourni le gaz promis et P&ID n’a pas construit l’usine de traitement.

En 2013, P&ID a initié une procédure arbitrale contre le Nigéria fondée sur la clause arbitrale du Contrat.

Le Tribunal, constitué de Sir Anthony Evans, Chief Bayo Ojo SAN et Lord Hoffmann(Président), a rendu une sentence sur la responsabilité le 17 juillet 2015 dans laquelle il a retenu que le Contrat avait été répudié par le Nigéria qui ne s’était pas acquitté de ses obligations contractuelles et, ainsi, que P&ID avait droit à des dommages-intérêts.

Dans sa sentence sur le quantum rendue le 31 janvier 2017, le Tribunal a condamné le Nigéria à payer à P&ID 6.6 milliards USD (plus de 11 milliards USD avec les intérêts).

Recours en annulation

Le Nigéria a formé un recours en annulation contre les deux sentences, et a notamment formulé des allégations de corruption et parjure. En particulier, le Nigéria visait des actes de P&ID perpétrés avant et après la conclusion du Contrat. Ainsi, le Nigéria a soutenu qu’au travers de ses actes, P&ID avait obtenu les sentences par fraude et en violation de l’ordre public ce qui devrait entrainer l’annulation.

Aux termes de la Section 68 de l’Arbitration Act anglais de 1996, renvoyant à sa Section 73, une partie perd son droit de fonder une demande en annulation si au cours de l’instance arbitrale elle avait connaissance de la raison invoquée au soutien de sa demande mais ne l’a pas soulevée devant le tribunal. Ce point a été soulevé par P&ID selon qui le Nigéria aurait dû, en étant raisonnablement diligent, découvrir la parjure de Mr. Quinn, un des fondateurs de P&ID. A cela, le Nigéria a déclaré que les faits auxquels P&ID font référence n’ont pas de lien avec la demande d’annulation fondée sur la fraude et la corruption (Arrêt, ¶538). Dès lors le Nigéria n’avait pas perdu son droit de recours.

Décision de la Cour

Dans sa décision du 23 octobre 2023, la High Court a retenu que les deux sentences objet du recours en annulation avaient été obtenues par fraude et par conséquent, étaient contraire à l’ordre public tel que défini par la Section 68(2)(g) de l’Arbitration Act anglais de 1996.

Après avoir rappelé qu’une sentence peut être annulée conformément à la Section 68(2)(g) de l’Arbitration Act anglais de 1996, pour des irrégularités comme la contrariété à l’ordre public de la sentence, ou la façon dont celle-ci a été obtenue (Arrêt, ¶474), la Cour confirme l’importance fondamentale de cette Section garante de l’intégrité de la procédure arbitrale.

Son raisonnement est intéressant car il s’appuie sur la volonté des Parties : selon la Cour une sentence obtenue par fraude ou contraire à l’ordre public qui a causé ou cause une injustice grave n’est pas ce sur quoi les parties se sont accordées lors de la signature de la clause d’arbitrage (Arrêt, ¶476).

La Cour présente ensuite les conditions cumulatives de la Section 68 de l’Arbitration Act anglais de 1996 : i) existence d’une irrégularité sérieuse, et ii)irrégularité ayant causé ou causant une injustice grave à la partie demanderesse à l’annulation (Arrêt, ¶498).

Le caractère sérieux de l’irrégularité,sous le prisme de la Section 68, fait référence aux conséquences de l’irrégularité, en particulier pour la justice (Arrêt, ¶499).

En s’appuyant sur RAV Bahamas v. Therapy Beach Club [2021], la Cour note que le test appliqué pour évaluer le sérieux d’une irrégularité est strict et s’intéresse davantage au procès équitable qu’à la teneur de la décision prise.

L’injustice grave, implique de démontrer que la position de la partie demanderesse à l’annulation au cours de l’arbitrage était raisonnablement défendable, et que la finalité de l’arbitrage aurait pu être différente si le tribunal avait tranché en faveur de cette position (Therapy Beach Club, ¶34).

Enfin,le demandeur à l’annulation doit démontrer l’impact important des faits nouveaux sur la finalité de l’arbitrage (Arrêt, ¶502). Il en est ainsi de pièces d’une importance telle que leur production en cours d’instance aurait probablement affecté sa finalité et aurait pu être vue comme décisive (Arrêt,¶503).

En l’espèce, la Cour reconnait d’abord que le Contrat en lui-même ne fait pas partie d’un montage de plus grande envergure visant, pour P&ID à extorquer des fonds au Nigéria, et ce dès la signature du Contrat (Arrêt, ¶490). Même si la Cour reconnait que P&ID était prête à émettre des pots-de-vin au cours de l’exécution du Contrat, cela n’était pas son but dès la conclusion dudit Contrat.

Cela étant, la Cour note que trois éléments rendent les sentences irrégulières au sens de la Section 68(2)(g) de l’Arbitration Act anglais de 1996 dans cette affaire :

1.       P&ID a fourni et s’est appuyée sur des pièces d’importance primordiale mais qu’elle savait être fausses (Arrêt, ¶494).

2.      P&ID a continué les pots-de-vin et le payement de Mme Grace Taiga – ancienne directrice du Ministère des Ressources Pétrolières et une juriste impliquée dans les négociations et rédaction du Contrat – au cours l’arbitrage afin de garantir son silence vis-à-vis du Tribunal et du Nigéria sur les pots-de-vin reçus lors de la conclusion du Contrat. (Arrêt, ¶495)

3.      P&ID a conservé et utilisé de manière indue et impropre, des documents juridiques confidentiels internes au Nigéria, reçus pendant l’arbitrage au lieu de les retourner (Arrêt, ¶¶217 et 496).

Ici, le point clé résidait donc dans les pots-de-vin versés à la conclusion du Contrat à une ancienne ministre et juriste impliquée dans les négociations, et dans ceux qui lui auraient été versés au cours de l’arbitrage qui avaient pour objet de dissimuler les premiers. P&ID contrôlait cela en soustrayant au Tribunal les documents juridiques internes nigérians (Arrêt, ¶509).

La Cour note que si les sentences sont le résultat de l’arbitrage, elle ne doute pas un instant que l’arbitrage aurait été différent et fortement favorable au Nigéria si les pots-de-vin versés à Mme Grace Taiga avaient été dévoilés au Tribunal. Cela aurait notamment posé la question de savoir si le Contrat avait été conclu de manière frauduleuse et dès lors annulable en vertu du droit applicable (Arrêt, ¶510).

Partant, la Cour conclut que le Nigéria a souffert d’une injustice grave au sens de la Section 68 de l’Arbitration Act anglais de 1996.

En particulier, la Cour note que la nature du comportement de P&ID vis-à-vis des documents internes Nigérians, ainsi que son étendue, sa continuité et les circonstances dans lesquelles il est intervenu sont telles que le droit du Nigéria à un accès confidentiel à des conseils juridiques a été totalement compromis pendant une large partie de l’arbitrage. Sur ce point également la Cour conclut que si le Tribunal avait eu connaissance de ces faits, alors son approche aurait été différente (Arrêt, ¶512).

La High Court n’a pas retenu la qualification de corruption, mais a reconnu que des pots-de-vin ont été payés à Mme Grace Taiga au moment de la conclusion du Contrat ainsi qu’au cours de l’arbitrage afin de garder son silence sur les conditions dans lesquelles le Contrat a été conclu ce qui constitue une irrégularité sérieuse.

In fine, la Cour conclut que si le Tribunal Arbitral avait eu connaissance de l’existence de ces pots-de-vin, alors tout porte à croire que sa décision aurait été différente. Partant, la Cour retient que les sentences sont contraires à l’ordre public car elles présentent des irrégularités du type de celles prévues par la Section 68(2)(g) de l’Arbitration Act anglais de 1996.

Finalement, la Cour note que cette affaire est exemple clair où la justice appelle à la rectification. La procédure arbitrale étant à l’opposé de ce que les parties pouvaient raisonnablement en attendre, la Cour se devait d’intervenir en soutient à l’arbitrage (Arrêt, ¶517).

La Cour a annulé les deux sentences le 21 décembre 2023.

 

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