Le 5 novembre 2013, une société cessionnaire a acquis la totalité des actions d’une société cible, dont 20% étaient détenues par les cédants. Le prix de cession de ces actions comprenait, outre un prix fixe, un « complément de prix marge brute » dû en cas d'atteinte, par la société cible, d'un certain niveau de marge brute au titre de l'exercice 2016 et représentant un pourcentage de cette marge, et un « complément de prix additionnel », annuel, au titre des exercices 2013 à 2017 dû en cas d'atteinte, par la société cible, d'un certain niveau d'Ebitda et correspondant à une fraction de celui-ci.
Les offres successives de la société cessionnaire faisaient référence, pour le calcul des compléments de prix, aux objectifs définis par un plan d'affaires dit « Business plan synergies » (le BPS). Toutefois, le protocole d'accord du 5novembre 2013 contenait une clause d'intégralité stipulant que « [celui-ci] et les actes qui y sont visés constituent l'intégralité des engagements conclus entre les parties [...] et remplacent toutes les négociations, discussions,correspondances, accords et engagements antérieurs entre les parties relatifs à l'objet dudit protocole », et ne faisait pas référence au BPS.
Les cédants ont assigné la société cessionnaire en paiement de dommages-intérêts,soutenant que celle-ci avait fait obstacle à la perception des compléments de prix auxquels ils avaient droit en s'abstenant de mettre en œuvre les synergies prévues par le BPS. Ils réclamaient réparation du préjudice résultant de la minoration des compléments de prix ainsi que de la perte fiscale subie.
Le différend portait sur la question de savoir si la société cessionnaire était tenue de mettre en œuvre les actions prévues par le BPS afin de permettre aux cédants de percevoir les compléments de prix conditionnels. Les cédants soutenaient que la société cessionnaire avait manqué à ses obligations contractuelles et à son devoir de bonne foi en ne mettant pas en œuvre les synergies nécessaires à l'atteinte des objectifs de performance conditionnant le versement des compléments de prix.
La société cessionnaire opposait la clause d'intégralité du protocole, qui excluait selon elle toute référence au BPS et, par conséquent, toute obligation de mettre en œuvre les actions qui y étaient prévues.
La cour d'appel de Paris a rendu son arrêt le 19 mai 2020, rejetant les demandes indemnitaires des cédants.
La cour d'appel a relevé que si les offres successives de la société cessionnaire faisaient référence, pour le calcul des compléments de prix, aux objectifs définis par le BPS, le protocole du 5 novembre 2013 indiquait toutefois que «[celui-ci] et les actes qui y sont visés constituent l'intégralité des engagements conclus entre les parties [...] et remplacent toutes les négociations, discussions, correspondances, accords et engagements antérieurs entre les parties relatifs à l'objet dudit protocole » et ne faisait pas référence au BPS. Elle a retenu que le fait que le contrat mentionne un objectif de marge brute identique à celui de l'offre du 6 septembre 2013 et précise que ce chiffre a été « déterminé d'un commun accord » ne suffisait pas à retenir qu'il s'agissait d'une référence au BPS.
La cour d'appel a également considéré qu'il n'était pas établi que l'exclusion du BPS du champ contractuel soit contraire à la commune intention des parties.
Les cédants ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel. Leur pourvoi s'articulait autour de quatre branches principales :
Premier grief : Les cédants soutenaient qu'une clause d'intégralité ne peut avoir pour effet d'écarter la clause générale de bonne foi, et reprochaient à la cour d'appel de ne pas avoir recherché si la société cessionnaire n'avait pas manqué aux exigences de bonne foi en entretenant les cédants dans l'illusion qu'elle coopérerait et mettrait à disposition ses outils pour atteindre les objectifs annoncés.
Deuxième grief : Ils arguaient que le contrat comportant une clause de complément de prix fonction d'un résultat (earn out) oblige le cessionnaire à coopérer avec le cédant en vue d'atteindre le meilleur résultat.
Troisième grief : Ils soutenaient que le protocole de cession, s'il comporte une clause d'intégralité, n'exclut cependant pas les actes précontractuels sur lesquels le calcul du prix complémentaire a été fixé,l'article 3.2.4 renvoyant expressément à l'objectif de marge brute résultant de l'application du BPS.
Quatrième grief : Ils invoquaient le principe selon lequel est réputée acquise la condition suspensive qui échoue à se réaliser du fait du manquement du bénéficiaire.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi, validant ainsi l'analyse de la cour d'appel.
Sur le premier grief, la Cour de cassation a considéré que la cour d'appel avait effectué la recherche visée concernant la bonne foi et avait souverainement apprécié la commune intention des parties, en constatant que la mauvaise foi de la société cessionnaire n'était pas établie et que l'absence de mise en œuvre des actions prévues par le BPS ne constituait pas des manquements contractuels.
Sur les autres griefs, la Cour de cassation a retenu que la cour d'appel avait exactement déduit de ses constatations que les cédants ne démontraient pas que la société cessionnaire avait empêché la réalisation de la condition, dès lorsque la société cessionnaire ne s'était pas engagée à mettre en œuvre les actions stipulées par le BPS.
Les juridictions françaises font prévaloir la sécurité juridique prévaut lorsque les parties ont clairement formalisé leurs engagements. Lorsqu'un protocole stipule expressément qu'il « constitue l'intégralité des engagements conclus entre les parties et remplace toutes les négociations, discussions, correspondances, accords et engagements antérieurs», ces juridictions font produire des effets à cette clause en vertu de la force obligatoire des contrats. Dans les opérations de cession avec earn-out, toute obligation de coopération ou de mise en œuvre d'un business plan doit être expressément stipulée dans le contrat final, faute de quoi elle pourra être écartée par la clause d'intégralité.
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